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les vues qu’ils ont sur leur fortune, ni que l’on pénètre qu’ils pensent à une telle dignité, parce que, s’ils ne l’obtiennent point, il y a de la honte, se persuadent-ils, à être refusés ; et s’ils y parviennent, il y a plus de gloire pour eux d’en être crus dignes par celui qui la leur accorde, que de s’en juger dignes eux-mêmes par leurs brigues et par leurs câbales : ils se trouvent parés tout à la fois de leur dignité et de leur modestie.

Quelle plus grande honte y a-t-il d’être refusé d’un poste que l’on mérite, ou d’y être placé sans le mériter ?

Quelques grandes difficultés qu’il y ait à se placer à la cour, il est encore plus âpre et plus difficile de se rendre digne d’être placé.

Il coûte moins à faire dire de soi : « Pourquoi a-t-il obtenu ce poste ? » qu’à faire demander : « Pourquoi ne l’a-t-il pas obtenu ? »

L’on se présente encore pour les charges de ville, l’on postule une place dans l’Académie française, l’on demandait le consulat : quelle moindre raison y aurait-il de travailler les premières années de sa vie à se rendre capable d’un grand emploi, et de demander ensuite, sans nul mystère et sans nulle intrigue, mais ouvertement et avec confiance, d’y servir sa patrie, son prince, la république ?


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Je ne vois aucun courtisan à qui le prince vienne d’accorder un bon gouvernement, une place éminente