Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/377

Cette page n’a pas encore été corrigée

toujours paru hors de sa place, c’est de condamner tous les deux : leçon importante, motif pressant et indispensable de fuir à l’orient quand le fat est à l’occident, pour éviter de partager avec lui le même tort.


30 (V)


Je n’aime pas un homme que je ne puis aborder le premier, ni saluer avant qu’il me salue, sans m’avilir à ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu’il a de lui-même. Montaigne dirait : Je veux avoir mes coudées franches, et estre courtois et affable à mon point, sans remords ne consequence. Je ne puis du tout estriver contre mon penchant, et aller au rebours de mon naturel, qui m’emmeine vers celuy que je trouve à ma rencontre. Quand il m’est égal, et qu’il ne m’est point ennemy, j’anticipe sur son accueil, je le questionne sur sa disposition et santé, je luy fais offre de mes offices sans tant marchander sur le plus ou sur le moins, ne estre, comme disent aucuns, sur le qui vive. Celuy-là me deplaist, qui par la connoissance que j’ay de ses coutumes et façons d’agir, me tire de cette liberté et franchise. Comment me ressouvenir tout à propos, et d’aussi loin que je vois cet homme, d’emprunter une contenance grave et importante, et qui l’avertisse que je crois le valoir bien et au delà ? pour cela de me ramentevoir de mes bonnes qualitez et