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ils le jettent à terre : tous ont les yeux sur lui, observent son maintien et son visage avant de prononcer sur le vin ou sur les viandes qui sont servies. Ne le cherchez pas ailleurs que dans la maison de ce riche qu’il gouverne : c’est là qu’il mange, qu’il dort et qu’il fait digestion, qu’il querelle son valet, qu’il reçoit ses ouvriers, et qu’il remet ses créanciers. Il régente, il domine dans une salle ; il y reçoit la cour et les hommages de ceux qui, plus fins que les autres, ne veulent aller au maître que par Troïle. Si l’on entre par malheur sans avoir une physionomie qui lui agrée, il ride son front et il détourne sa vue ; si on l’aborde, il ne se lève pas ; si l’on s’assied auprès de lui, il s’éloigne ; si on lui parle, il ne répond point ; si l’on continue de parler, il passe dans une autre chambre ; si on le suit, il gagne l’escalier ; il franchirait tous les étages, ou il se lancerait par une fenêtre, plutôt que de se laisser joindre par quelqu’un qui a un visage ou un ton de voix qu’il désapprouve. L’un et l’autre sont agréables en Troïle, et il s’en est servi heureusement pour s’insinuer ou pour conquérir. Tout devient, avec le temps, au-dessous de ses soins, comme il est au-dessus de vouloir se soutenir ou continuer de plaire par le moindre des talents qui ont commencé à le faire valoir. C’est beaucoup qu’il sorte quelquefois de ses méditations et de sa taciturnité pour contredire, et que même pour critiquer il daigne