Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/315

Cette page n’a pas encore été corrigée

que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relayent pour le contempler.


4I (IV)


Celui qui, logé chez soi dans un palais, avec deux appartements pour les deux saisons, vient coucher au Louvre dans un entre-sol n’en use pas ainsi par modestie ; cet autre qui, pour conserver une taille fine, s’abstient du vin et ne fait qu’un seul repas n’est ni sobre ni tempérant ; et d’un troisième qui, importuné d’un ami pauvre, lui donne enfin quelque secours, l’on dit qu’il achète son repos, et nullement qu’il est libéral. Le motif seul fait le mérite des actions des hommes, et le désintéressement y met la perfection.


42 (IV)


La fausse grandeur est farouche et inaccessible : comme elle sent son faible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu’autant qu’il faut pour imposer et ne paraître point ce qu’elle est, je veux dire une vraie petitesse. La véritable grandeur est libre, douce, familière, populaire ; elle se laisse toucher et manier, elle ne perd rien à être vue de près ; plus on la connaît, plus on l’admire. Elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revient sans effort dans son naturel ; elle s’abandonne quelquefois, se néglige, se relâche de ses avantages, toujours en pouvoir de les reprendre et de les faire valoir ; elle rit, joue et badine, mais avec dignité ; on l’approche tout ensemble avec liberté et avec retenue.