Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’a traduit dans toutes les langues[1], et, ce qui distingue les ouvrages originaux, il a produit une foule de copies : car c’est précisément ce qui est inimitable que les esprits médiocres s efforcent d’imiter.

Sans doute La Bruyère, en peignant les mœurs de son temps, a pris ses modèles dans le monde où il vivoit ; mais il peignit les hommes, non en peintre de portrait, qui copie servilement les objets et les formes qu’il a sous les yeux, mais en peintre d’histoire, qui choisit et rassemble différents modèles ; qui n’en imite que les traits de caractère et d’effet, et qui sait y ajouter ceux que lui fournit

  1. Je doule de la vérité de cette assertion, prise au moins dans toute son étendue. La Bruyère ayant parlé quelque part d’un bon livre, traduit en plusieurs langues, on prétendit qu’il avoit parlé de son propre ouvrage ; et l’opinion s’en établit tellement, que ses ennemis mêmes lui firent honneur de ce grand nombre de traductions. Mais un admirateur, un imitateur et un apologiste de La Bruyère nia que les Caractères eussent été traduits en aucune langue. J’ignore s’il s’en est fait des traductions depuis cette discussion ; mais j’aurois peine à croire qu’il s’en fut fait beaucoup : pour le fond et pour la forme, les Caractères sont peu traduisibles.