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On conçoit aisément que le philosophe qui releva avec tant de finesse et de sagacité les

    Caractères : « Maximillen m’est venu voir à Auteuil, et m’a lu quelque chose de son Théophraste. C’est un fort honnête homme, et à qui il ne manqueroit rien, si la nature l’avoit fait aussi agréable qu’il a envie de l’être. Du reste, il a de l’esprit, du savoir et du mérite. » Pourquoi Boileau désigne-t-il La Bruyère par le nom de Maximilien, qu’il ne portoit pas ? Etoit-ce pour faire comme La Bruyère lui-même, qui peignoit ses contemporains sous des noms empruntés de l’histoire ancienne ? Par le Théophraste de La Bruyère, Boileau entend-il sa traduction de Théophraste, ou l’ouvraçe composé par lui à l’imitation du moraliste grec ? Je croirois qu’il s’agit du dernier. Boileau semble reprocher à La Bruyère d’avoir poussé un peu plus loin qu’il ne convient l’envie d’être agréable ; et, suivant ce que rapporte d’Olivet, il n’avoit aucune ambition, pas même celle de montrer de l’esprit. C’est une contradiction assez frappante entre les deux témoignages. La Bruyère, dans son ouvrage, paroît trop constamment animé du désir de produire de l’effet pour que sa conversation ne s’en ressentit pas un peu ; je me rangerois donc volontiers à l’opinion de Boileau. Quoi qu’il en soit, ce grand poète estimoit La Bruyère et son livre : il n’en faudroit pas d’autre preuve que ce quatrain qu’il fit pour mettre au bas de son portrait :

    Tout esprit orgueilleux qui s’aime,
    Par mes leçons se voit guéri,
    Et, dans ce livre si chéri,
    Apprend à se haïr lui-même.