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Ose nourrit des anciens et des habiles modernes ; on les presse, on en tire le plus que l’on peut, on en renfle ses ouvrages ; et quand enfin l’on est auteur, et que l’on croit marcher tout seul, on s’élève contre eux, on les maltraite, semblable à ces enfants drus et forts d’un bon lait qu’ils ont sucé, qui battent leur nourrice.

Un auteur moderne prouve ordinairement que les anciens nous sont inférieurs en deux manières, par raison et par exemple : il tire la raison de son goût particulier, et l’exemple de ses ouvrages.

Il avoue que les anciens, quelque inégaux et peu corrects qu’ils soient, ont de beaux traits ; il les cite, et ils sont si beaux qu’ils font lire sa critique.

Quelques habiles prononcent en faveur des anciens contre les modernes ; mais ils sont suspects et semblent juger en leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le goût de l’antiquité : on les récuse.

16. L’on devrait aimer à lire ses ouvrages à ceux qui en savent assez pour les corriger et les estimer.

Ne vouloir être ni conseillé ni corrigé sur son ouvrage est un pédantisme.