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couché sur un charriot grossier, sur lequel je me laissai placer sans la moindre résistance, pensant que c’était enfin la dernière des épreuves qui m’étaient réservées. J’arrive à Turin dans ce triste équipage, et au lieu de me conduire directement dans le palais de Votre Majesté, on me fait mettre pied-à-terre dans la cour de l’Académie des sciences, où j’appris toutefois en arrivant qu’il avait été question de moi, et que même mon véritable nom avait été prononcé. Je supposai donc encore qu’il avait été jusque-là dans les intentions de Votre Majesté que j’eusse voyagé incognito ; mais du moment que mon rang était connu, je m’attendais d’un instant à l’autre à ce qu’on vint me rendre les honneurs dus à ma naissance. Une foule d’individus m’environne en effet ; la cour brille de l’éclat des flambeaux… Mais on me passe sans respect une corde au cou, et bien malgré moi, car j’avoue que je faisais le pesant, on me mit droit contre un mur, et sur un grand piédestal, sans faire attention seulement que j’en avais apporté un avec moi, lequel ne m’a point quitté depuis mon départ de Thèbes.

Dans une posture aussi gênante, exposé à toute heure aux regards du public, auquel mes insignes royaux n’en imposent pas toujours, j’attendais depuis plusieurs mois, que Votre Majesté mit un terme à mes souffrances. J’avais de plus le déplaisir d’apercevoir, grâce à ma haute taille, à travers les fenêtres voisines, mes anciens compagnons de voyage, dans une situation bien préférable à la mienne. Je voyais par exemple Moeris perché sur une espèce de théâtre, tout juste comme nos hiérogrammates lorsqu’ils racontaient les métamorphoses d’Osiris au peuple assemblé dans les temples : plus loin Sésostris entièrement remis de ses blessures et se carrant au milieu d’une vaste salle sur un socle même de beaucoup trop élevé pour sa taille ; je voyais de pauvres diables