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Lorsque sur la proposition de M. Drovetti, qui me vantait la courtoisie et la civilisation de l’Europe, je consentis à quitter Thèbes, ma chère patrie, pour voir les contrées de l’Occident, je dus, puisque la course ne pouvait se faire autrement, me soumettre à être placé sur un vaisseau d’une manière fort incommode, et très peu convenable soit à mon rang, soit à mon illustre famille. Une seule espérance adoucissait l’ennui de la traversée, celle des honneurs qui m’attendaient sans doute au milieu de peuples qui doivent en très grande partie les lumières dont ils se vantent à la vieille nation que j’ai longtemps gouvernée avec tant de gloire. Je prenais donc en patience et le mal de mer et les dégoûts perpétuels dont m’abreuvaient mes compagnons de voyage, qui feignaient d’ignorer avec quel personnage ils avaient l’honneur de faire route.

J’arrive à Livourne, et on me loge dans une espèce de magasin. On m’y laisse plusieurs mois sans s’enquérir seulement si le local pouvait ou non me convenir, j’aurais cent fois perdu patience et tenté quelque coup d’éclat, car en ma qualité de conquérant je suis fort vif, quoique très posé en apparence, si mes compatriotes Thoutmosis et Amenophis, personnages assez flegmatiques de leur naturel, et renfermés dans la même cave que moi, ne m’eussent déterminé à m’y tenir en paix, en attendant l’événement.

Quant à Sésostris que j’y retrouvai aussi, le pauvre garçon était si malade et tellement brisé du voyage, qu’il avait double raison pour ne s’occuper que de lui.

Grâce à ces bons camarades, je ne suis point mort d’ennui, car Thoutmosis me contait les vieilles histoires de son temps, et Amenophis, qui sous le nom de Memnon s’est fait jadis une très belle réputation comme musicien, me chantait de temps en