Page:La Boétie - Discours de la servitude volontaire.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

casse ses dents contre les arbres, sinon que le grand désir qu’il a de demeurer libre, ainsi qu’il est, lui fait de l’esprit et l’avise de marchander avec les chasseurs si, pour le prix de ses dents, il en sera quitte, et s’il sera reçu de bailler son ivoire et payer cette rançon pour sa liberté ? Nous appâtons le cheval dès lors qu’il est né pour l’apprivoiser à servir ; et si ne le savons-nous si bien flatter que, quand ce vient à le dompter, il ne morde le frein, qu’il ne rue contre l’éperon, comme (ce semble) pour montrer à la nature et témoigner au moins par là que, s’il sert, ce n’est pas de son gré, ainsi par notre contrainte. Que faut-il donc dire ?


Même les bœufs sous le poids du joug geignent,
Et les oiseaux dans la cage se plaignent,


comme j’ai dit autrefois, passant le temps à nos rimes françaises (¹) ; car je ne craindrai point, écrivant à toi, ô Longa (²), mêler de mes vers, desquels je ne lis jamais que, pour le semblant que tu fais de t’en contenter, tu ne m’en fasses tout glorieux. Ainsi donc, puisque toutes choses qui ont sentiment, dès lors qu’elles l’ont, sentent le mal de la sujétion et courent après la liberté, puisque les bêtes, qui encore sont faites pour le service de l’homme, ne se peuvent accoutumer à servir qu’avec protestation d’un désir contraire,