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avec l’ardeur à la fois entraînante et réfléchie, qu’il apportait dans ses entreprises. Mais son rôle, dans la Renaissance philologique, demeura longtemps ignoré. Montaigne ne l’a pas indiqué, car l’érudition du philosophe n’était pas assez solide pour juger des difficultés d’un semblable labeur. Le mérite d’avoir mis en lumière la haute science philologique de La Boétie appartient tout entier à M. R. Dezeimeris. C’est lui qui a retrouvé la trace, jusqu’alors perdue, des goûts critiques de La Boétie, et découvert ainsi, selon la très juste expression de Sainte-Beuve, un La Boétie primitif, antérieur à celui dont Montaigne nous a laissé le portrait, et tout à fait neuf[1]. Les pages qui suivent ne sont, et ne pouvaient être que le résumé des trouvailles de M. Dezeimeris sur La Boétie philologue, un aperçu des considérations qu’il a lui-même émises ailleurs, en publiant pour la première fois, avec tant d’autorité, les remarques de La Boétie sur l’Ἐροτιϰός de Plutarque[2].

Plutarque, en effet, attirait La Boétie, et, en particulier, dans Plutarque, le recueil de ses œuvres diverses ou morales. La philosophie de ces opuscules charmait La Boétie, et les difficultés qui se rencontraient alors, à chaque ligne, l’eussent retenu à l’étude d’un écrivain si intéressant par lui-même. Dans le commencement du siècle, ces moralia avaient été rassemblées par les soins du crétois Démétrius Ducas[3], et Alde en livrait la collection au public savant en mars 1509. Cette édition fut avidement accueillie[4], quoiqu’elle eût été confectionnée avec plus de bonne volonté que de jugement, et qu’elle reproduisît trop scrupuleusement les lacunes et les erreurs des manuscrits suivis. Trente ans après, Froben imprimait à Bâle, en 1542[5], une nouvelle édition amendée et plus correcte. Entre-temps, la critique avait fait un grand pas et la philologie classique était née. De véritables érudits avaient exercé leur sagacité et leur science sur le texte des écrits philosophiques de Plutarque, de sorte que, pour en donner une collection sensiblement améliorée, il suffisait à Froben de centraliser le résultat de ces remarques et de ces corrections. On essayait même de traduire Plutarque en latin et les versions ainsi entreprises commençaient à être assez nombreuses pour

  1. C. A. Sainte-Beuve, Correspondance, t. II, p. 249.
  2. Remarques et corrections d’Estienne de La Boétie sur le traité de Plutarque intitulé Ἐροτιϰός, avec une introduction et des notes par Reinhold Dezeimeris (Publications de la Société des Bibliophiles de Guyenne, t. l, pp. 81-160), 1868, in-8o.
  3. Plutarchi opuscula LXXXXII. (À la fin) Venetiis in œdibus Aldi et Andreæ Asulam soceri, mense martio MDIX. — in-folio de 8 ff. non chiffrés, 1050 pp. et 1 f. pour l’ancre aldine qui figure également sur le titre.
  4. Janus Lascaris, en mission à Venise au moment de l’apparition de cet ouvrage, en expédiait les bonnes feuilles a Guillaume Budé à mesure de leur impression. Voir deux lettres fort curieuses ubliécs par M. Émile Legrand (Bibliographie hellénique, t. II, p. 330-333).
  5. Plutarchi Chœronei Moralia opuscula multis mendarum milibus expurgata. Basileæ, per Hier. Frobenium et Nic. Episcopium, 1542, In-folio de 6 ff. liminaires, 877 pp. et un feuillet pour la marque de Froben.