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que telles choſes ne ſ’engendrent en l’entendement des femmes : car ſi elles ne reçoiuent les ſemences des bons propos, & ne participent des doctrines de leurs marys, à part ſoy elles enfantent pluſieurs deliberations 35 & affections mauuaiſes & mal auenantes. Or quant à toy, ô Eurydice, mets peine d’auoir touſiours en main les beaux mots des bons & ſages hommes, & fais que tu ayes ſans ceſſe à la bouche ces propos là, que tu apprins auecques moy, eſtant encore fille, à 40 fin que d’vne part tu faces viure en plaiſir ton mary, & outre cela, que tu ſois à toutes les autres femmes en admiration, eſtant ainſi ſingulierement paree, & plus magnifiquement que tu ne pourrois eſtre d’aucune autre choſe. Car de recouurer & mettre ſur toy les 45 perles des femmes riches, ou ſoyes des eſtrangeres, tu ne le ſçaurois faire ſans les acheter bien cherement ; mais les beauz ioyaux & parements de Theanon, de Les vrais ioyaux & parements des femmes aiſez à auoir, & à bon marché Cleobuline, de Gorgon, la femme de Leonide, de Thimoclee, la ſœur de Theogene, de Claude l’ancienne, 50 de Cornille, la fille de Scipion, & tant d’autres qui ont eſté tant admirables & renommees, les beaux parements, dis-ie, de celles là, il te fera ayſé de t’en accouſtrer pour neant ; & puis apres, en eſtant paree, de viure par meſme moyen en grand honneur & grand 55 heur. Car ſi Saphon, pour la plaiſante façon d’eſcrire vers, en eſtoit ſi fiere, qu’elle a bien ozé dire par ſes eſcrits à quelque grand’dame :

De toy, quand tu giras morte,
Ne ſera memoire aucune :
Car tu n’as part à pas vne
Des roſes qu’Helicon porte ;