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A MONSIEVR
MONSIEVR DE MESMES,
SEIGNEVR DE ROISSY ET DE MAL-ASSIZE, CONSEILLER DV ROY EN SON PRIVÉ CONSEIL.


Monsievr, c’eſt vne des plus notables folies que les hommes facent, d’employer la force de leur entendement à ruiner & chocquer les opinions communes & receues, qui nous portent de la ſatisfaction & du contentement. Car, là où tout ce qui eſt ſoubs le ciel employe les moyens & les outils que nature luy a mis en main (comme de vray c’en eſt l’vſage), pour l’agencement & commodité de ſon eſtre, ceulx icy, pour ſembler d’vn eſprit plus gaillard & plus eſueillé, qui ne reçoit & qui ne loge rien que mille fois touché & balancé au plus ſubtil de la raiſon, vont esbranlant leurs ames d’vne aſſiete paiſible & repoſee, pour, apres vne longue queſte, la remplir en ſomme de doute, d’inquietude & de fieure. Ce n’eſt pas ſans raiſon que l’enfance & la ſimplicité ont eſté tant recommandees par la verité meſmes. De ma part i’ayme mieulx eſtre plus à mon aiſe, & moins habile ; plus content, & moins entendu. Voylà pour quoy, Monſieur, quoy que des fines gens ſe mocquent du ſoing que nous auons de ce qui ſe paſſera icy apres nous, comme noſtre ame, logee ailleurs, n’ayant plus à ſe reſſentir des choſes de çà bas, i̇’eſtime toutefois que ce ſoit vne grande conſolation à la foibleſſe & brieueté de ceſte vie, de croire qu’elle ſe puiſſe fermir & allonger par la reputation & par la renommee ; & embraſſe tres-volontiers vne ſi plaiſante &