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MAHOMET. 7

Constantinople. Le tableau si énergiquement tracé par M. Renan de la situation de l’empire Romain au Iersiècle de l’ère chrétienne, n’a plus de rapport avec celui qu’on pourrait faire du vieux monde au VIe. Ce n’est plus de la pourriture césarienne qui fermente, c’est de la barbarie guerrière qui s’ébat et se vautre[1].

L’Asie n’était pas plus calme que l’Europe.

Le Thibet, l’Inde, à qui les populations dominant actuellement la vieille Europe, doivent leur génie, leurs idées générales et leurs langues, la Chine, le plus étrange des problèmes politiques et philosophiques, sociaux en un mot, étaient déchirés par des guerres civiles et des guerres étrangères compliquées de querelles religieuses. Le versant septentrionnal du haut plateau asiatique, propriété actuelle de la Russie, était alors absolument inconnu. La Perse, mêlée aux affaires de l’Occident depuis, surtout, l’expédition d’Alexandre de Macédoine, bataillait avec les Gréco-Romains de Constantinople, maîtres de l’Asie occidentale.

En Afrique, ces mêmes Gréco-Romains, ramassis de soldats, de marchands, d’administrateurs recrutés un peu partout, continuaient d’exploiter l’Égypte agricole et laissaient se momifier la vieille Égypte savante. Ils en usaient à peu près de même avec les cantons alors fertiles de la côte septentrionale d’Afrique qu’ils venaient de reprendre aux Vandales.

L’air était plein, partout, de vibrations farouches ; on comptait sur le mal plus qu’on ne se fiait au bien : les esprits n’étaient pas à la mansuétude. Les chefs qui obtenaient le plus de confiance étaient ceux qui poussaient le plus puissant cri de guerre. Une seule éloquence touchait les cœurs, faisait de vives mais passagères convictions : le butin, dépouilles de nations, de villes, de seigneurs, d’hommes d’armes, de pauvres laboureurs, de simples mendiants.

Sans la petite lampe dont la clarté tremblottait au fond de quelques cellules de cénobites, sans la semence philosophique abritée des orages et transmise d’âme en âme par de courageux apôtres de l’avenir, la barbarie, accélérée dans sa marche par le colossal orgueil des maîtres de la force brutale, serait devenue de la pure sauvagerie.

Cependant, un coin du monde restait étranger à. ce mouvement, non pas à cause de la sagesse de sa population, mais à cause de sa situation en dehors des routes suivies par les nations dites civilisées. La péninsule Arabique n’entendait que de loin en loin et très-affaiblis, les plus forts éclats des tempêtes qui grondaient en Europe. Elle ignorait l’existence de l’Inde et de la Chine ; ses rapports avec l’Asie ne dépassaient pas la Perse, et encore, celle-ci ne lui était-elle connue que par l’annonce des victoires ou des défaites rendant et retirant tour-à-tour aux Empereurs de Constantinople une suzeraineté nominale sur quelques-unes des vallées les plus proches de la Syrie. Cette dernière contrée l’intéressait, elle allait y commercer, elle y comptait des fils se pro- menant le long du bord occidental de l’Euphrate et remontant d’étape en étape jusqu’à la Caspienne. Quelque chose de semblable à un mystère religieux la séparait de l’Égypte dont ses pasteurs avaient jadis envahi la partie méridionale et d’où ils n’étaient complètement disparus que vers le temps où quelques-uns de leurs frères attardés, les Israélites, traités en bêtes de somme par les indigènes revenus vainqueurs, s’étaient

  1. Les Apôtres, ch. xvii.