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L’ART POÉTIQUE.

L’un peut tracer en vers une amoureuse flamme,
L’autre, d’un trait plaisant aiguiser l’épigramme ;
Malherbe d’un héros peut vanter les exploits,
Racan chanter Philis, les bergers et les bois ;
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s’aime
Méconnaît son génie et s’ignore soi-même.
Ainsi tel autrefois qu’on vit avec Faret
Charbonner de ses vers les murs d’un cabaret,
S’en va mal à propos, d’une voix insolente,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.
Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime ;
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr :
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit ;
Mais, lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle,
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée ;