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suis aperçue qu’il ne comprenait pas l’intention de mes lèvres, cela m’a endolorie comme si je découvrais une mutilation.

Il y a des essais de baiser que l’on n’oublie pas.

Un dimanche, — j’avais lu, dans le journal, des histoires peu égayantes ; le crime du jour était celui d’un conscrit ayant assassiné une vieille femme, sa bienfaitrice, — l’après-midi, au début de ma promenade, je reconnais Bonvalot qui traînait lugubrement, à la chasse aux bouts de cigarettes. Une impulsion irrésistible, — je ne sais quel besoin d’être d’accord avec quelqu’un, — m’a fait appeler :

— Veux-tu qu’on soit amis, tous les deux ?

— Ça m’est égal…

— Quand tu n’es pas à l’école, le dimanche matin, il faut venir me voir. J’ai des livres à images, j’ai des choses à manger et puis, j’ai des sous… Tiens entrons au bazar, je veux t’acheter ce qui te plaira ; choisis… Bon ! mais tu vas m’embrasser.

Bonvalot est un de ceux qui ne savent pas. Il a posé, enfoncé son museau près de mon oreille : et — je le certifie — j’ai senti à mon cou, le froid impressionnant de son nez, comme le froid de l’objet qu’il avait choisi avidement, sans hésitation : un couteau.

Mais pourquoi ces histoires de caresses ?

Je vis dans une obsession continuelle : un danger moral me menace.

Mme Paulin ne m’entretient plus de rien hors les