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Eh bien, quoi ! Je ne suis plus moi-même, je le sais bien ; je n’ai plus d’ingénuité, plus d’ignorance, plus d’illusion. J’ai pourtant conservé la faculté de rougir et certes mon sang se jette encore devant les mots énormes pour protéger ma dignité, mais on ne s’en aperçoit guère à cause de mon teint de gras double, de ma bouche au rictus blasé, de mes yeux meurtris.

Mon âme me semble encrassée sans remède comme mes mains.

Le dimanche ne me ressuscite pas.

Qui n’a déjà remarqué une vieille fille, pauvre, seule, — vingt-cinq ou quarante ans, sait-on ? — se promenant, un jour de fête dans Paris ? Quand les familles passantes se mêlent du regard, du sourire, se sentent en cohésion, en sympathie dans leur quartier, dans la ville, — la vieille fille a beau vouloir ressembler à tout le monde et faire semblant d’avoir un but, un motif de vivre, — comme on dégage l’être dépareillé, sans attache, sans aimantation !

Cet après-midi j’apercevais dans les vitrages mon corsage plat, mon chapeau sans jeunesse, mon visage désabusé… Pourquoi cette manie de frôler les boutiques ? Pourquoi cette insoulevable timidité sur mes paupières ? Il ne me manquait plus qu’un livre de messe à la main.

Mme Paulin qui devait guetter le retour de ma triste promenade, est venue me faire une visite dans ma chambre !

— Une idée qui m’a prise par hasard, a-t-elle exprimé si bien que la préméditation n’était pas douteuse.