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Croirait-on que je le préfère à Gillon qui trône à la table du milieu ? Gillon, espèce de méridional, brun frisé, fils d’un employé, étale l’insolence, la santé, la superbe, la suprématie de la sottise. Quand il approche trop bouffi, trop engoncé de vêtements chauds et que rien ne se sauve autour de lui, je sens la bêtise reine du monde. Cet après-midi où la classe était déjà si agitée, pendant la leçon de calcul à deux heures, pendant le dessin à trois heures, pendant le travail manuel, il n’a cessé de réclamer : « Mademoiselle ! Mademoiselle ! » d’une voix exaspérante. Du reste, tous les jours, à toutes les leçons, il se plaint que ses voisins « copient sur lui », ou se moquent de lui. Et il a des camarades qui le suivent, qui l’écoutent ; dans la cour, il organise des jeux tels que d’empêcher les filles de parler en venant fourrer la tête entre elles pour les écouter, en les séparant de force lorsque, bras dessus, bras dessous, à quatre ou cinq, elles déambulent en vraies commères ; d’autres jeux consistent à « faire les cornes », à conspuer, à entourer d’un rond dansant et grimaçant les punis, les malchanceux, les plus décriés de l’école, ceux qui arrivent trop barbouillés, trop mal ficelés et que je suis obligée de remettre en état. Certes, je préfère encore à Gillon l’idiote Berthe Hochard reléguée dans la classe de Mme Galant ; l’idiote au moins n’a pas d’idées, elle n’est pas haïssable ; Gillon n’a que des idées bêtes. Oh ! la binette obtuse et arrogante de Gillon déclarant : « Mon père à moi est employé dans un bureau. » Je le vois devenu grand… officier d’aca-