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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

portérent rue Dumont d’Urville, au domicile du général, avec un gros morceau de lard, deux petits aigles qu’un admirateur du professeur Charcot avait envoyés à celui-ci. Ils en furent félicités par la République Française.

Puis, après cette flambée gigantesque devant laquelle, lors de l’affaire Schnoebelé, avait reculé Bismarck, — bonne leçon qu’enregistra de loin Clemenceau, — la trahison, la police de Sûreté générale et Constans parvinrent à disloquer l’amalgame (royaliste, impérialiste et patriote), à isoler l’idole des foules, perdu dans l’adoration de sa belle maîtresse, à terroriser celle-ci qu’envahissait la tuberculose, et l’on sait le reste. Après la mort de Mme de Bonnemain, Boulanger, ivre de douleur, se suicida. Lockroy dit en ricanant : « Sous-lieutenant d’opéra-comique. » Des bandits de presse, tel Edmond Magnier, de l’Événement, insultèrent le cadavre encore chaud, désapprouvés par Constans qui, comme il le disait, « assassinat lui-même ». Clemenceau se tut. Sa mauvaise humeur contre les chefs militaires s’en accrut, mais sa foi dans la revanche n’en fut pas ébranlée.

Il s’entretenait une fois de plus, philosophiquement, de ce grand drame, avec Mme de Loynes apitoyée, quand un serviteur apporta le courrier. Il s’y trouvait, dans une feuille de chou, un article ordurier dirigé contre Lemaître et signé d’un misérable maître chanteur, connu et classé comme tel. Mme de Loynes parcourut des yeux cette saleté, où elle était nommée en toutes lettres et qui constituait — car on la savait riche — un « amorçage » caractérisé.

— Voyez, dit-elle à Clemenceau. C’est ignoble,

Le directeur de la Justice lut attentivement.