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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

ture, l’art, la philosophie de la Grèce. Mais tout ça ne vaut pas la biologie, ni l’anatomie. Que j’étais bien le soir, seul avec mon demi-squelette. Le squelette entier coûtait trop cher. Je vois encore le crâne d’Yorick dans ma main, son sphénoïde, son ethmoïde. Durranc, Martel, que n’avez-vous fait vos études de médecine !

Quand on fut au café, la neige tombait avec plus de violence, accompagnée de rafales de vent. La cheminée se mit à fumer. Durranc réprima un bâillement. ;

— Je vois ce que c’est, dit Clemenceau. Vous prendriez volontiers un petit verre. Vous avez hâte de vous empoisonner.

— Moi aussi, conclut Martel.

— Garçon, deux fines !

— Et vous, patron ?

— Oh, très peu pour moi ! J’ai besoin de vivre vieux. Je voudrais voir la vraie République.

— et la diriger ?

— Ma foi, pourquoi pas ! Si j’en juge d’après le cabinet actuel et ceux qui le composent, ça ne doit pas être très difficile.

Comme il disait ces mots, un prêtre entra, chaussé de gros sabots. Il avait un bon visage rond et rasé, deux yeux malicieux, et comme il enlevait son vaste chapeau, sa calvitie fit l’effet d’une tonsure agrandie. Il commanda un grog et s’assit près du restant de feu.

— Mauvais temps, monsieur le curé, aujourd’hui.

— Bah, c’est la saison qui veut ça. Madame va bien ? Le petit Robert aussi ?

— Eh oui, monsieur le curé. On est tranquille pour le moment. Il n’y a qu’à attendre le printemps, sans se biler.