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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

moment donné, aux prises avec l’Angleterre et de demeurer, lui, le tertius gaudens. Voilà pourquoi je combats Ferry ; non que je sois d’avis de chercher querelle à l’Allemagne, que nous ne sommes pas en état de combattre actuellement. Mais ce n’est pas vers la Chine et le Tonkin que nos regards doivent être tournés aujourd’hui. C’est encore et toujours vers la frontière de l’Est. Mullem, qu’en pensez-vous, vous qui dépouillez chaque jour la presse allemande et la presse anglaise ?

— Je suis entièrement de votre avis, patron. Ferry cherche les bonnes grâces de l’Allemagne et l’Allemagne lui en est reconnaissante.

— Parbleu ! Il faut mettre ordre à cela, J’interviendrai à la première occasion.

Une voix dit :

— Et la Russie ?

— Pour la Russie des Tzars, dit Clemenceau, la France est demeurée le pays de la Révolution, le pays de Satan. Je ne sais comment on dit Satan en russe. Mme Adam s’imagine user Bismarck par Gortchakoff. Quelle illusion ! Ah, les femmes dans la politique ! Heureusement que Mme Grévy ne s’occupe que de ses confitures… Mais ce n’est pas tout ça. Pour cet anniversaire, buvons au journal, chers amis et collaborateurs, à la Révolution française et au triomphe de nos idées !

Sa voix brève, aux mâles inflexions, donnait, même à l’occasion d’un simple toast, une impression de volonté claire, de certitude qui entraînait, arrachait la confiance. On déboucha le champagne, de médiocre qualité, que permettait la faible publicité de la Justice et l’on passa les assiettes de petits fours. Clemenceau avait hâte de rejoindre sa belle amie et d’échapper, pour quelques heures, dans