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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Clemenceau tira de sa poche une pièce de cinq francs :

— Tenez, mon vieux, ça vous permettra toujours de prendre un morceau de veau et un verre de vin.

Mais Riffard se redressa, avec une dignité non affectée :

— Merci bien, citoyen ! Je n’en suis pas à mendier. Je demande du travail, pas autre chose…

— C’est bon. Excusez-moi, je suis pressé, à demain.

Rentré chez lui et tout en grimpant ses étages, le directeur de la Justice réfléchissait qu’il n’avait pas toujours de quoi faire sa fin de mois, et que ce pauvre type, promu rédacteur de chiens écrasés, chien écrasé lui-même, était de trop :

— Bah, je lui dirai de se teindre en nègre et je l’enverrai au père Schoelcher. Tout de même, cette sacrée Commune, que de déchets elle a laissés !

Il lui devait, quelques années auparavant, son meilleur discours, à la Commune, en réponse au rapport sur l’amnistie, et qui avait fait grand effet. Il avait appris, de source certaine, qu’en lisant ce morceau d’éloquence précise et drue, Bismarck, très frappé, avait appelé son secrétaire Holstein et lui avait dit, le journal à la main :

— Voilà un gaillard, ce Clemenceau, sur lequel il convient d’avoir l’œil. Je demande des renseignements à Paris sur son compte.

L’homme politique à ses débuts ne se doutait pas que cette parole lui vaudrait, par la suite, une surveillance policière étroite, de la part de la Sûreté générale et un dossier, bourré de calomnies, que les services de la Boîte se repasseraient cons-