CHAPITRE V
En face de soi-même
ans son pays de Vendée, aux larges horizons
marécageux, plat et salubre, au milieu des
souvenirs si vifs de son enfance et de sa
jeunesse, Clemenceau réfléchissait. Les calomnies
dont il avait été la victime, assailli avec une rage
insensée, avaient amené en lui un bouillonnement
de sentiments et d’idées, de projets, parfois contradictoires,
qu’il s’efforçait de mettre en ordre, car le
travail et la méthode lui apparaissaient avec raison
comme l’équilibre de la vie. Il avait vu les deux
côtés de l’action, le succès et l’insuccès, exploré les
coulisses de la vie parisienne, connu et satisfait le
désir amoureux. L’art et les lettres lui ouvraient les
bras et il avait décidé de se consacrer désormais
aux secondes, d’édifier à la fois une œuvre de critique
et d’imagination, par le journal comme par
le livre.
Deux questions le préoccupaient : celle de la forme qui lui donnait moins de mal que naguère, mais qui néanmoins n’allait pas toute seule et celle des bonnes lectures, qui, en effet, forment le style. Quel style ? Le plus direct, le plus sobre, mais aussi le plus expressif : Voltaire et César. Ayant repris les