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LA VIE DE JÉSUS

— Pour le coup, dirent-ils, il n’y a plus à nier. C’est bien samedi aujourd’hui ?

— Oui, et après ?

— Eh bien, la loi interdit formellement de moissonner et de fouler le grain le jour du sabbat. Or, vos compagnons viennent bel et bien de moissonner et de fouler les épis. Tirez-vous de là !

— Vous me ferez donc toujours rire ! répondit Jésus, qu’il était difficile de prendre au dépourvu. Où voyez-vous que mes disciples moissonnent et foulent le grain ? Traitez-les de filous, si vous voulez ; mais ne dites pas qu’ils transgressent les prescriptions du sabbat.

— Ta, ta, ta, repartirent les autres, la question est élucidée depuis longtemps. Il est admis, il est reconnu que cueillir un épi et le froisser est la même chose que récolter et battre la moisson. Ignorez-vous que notre haut clergé a décidé dernièrement, dans son infaillibilité, que l’acte de marcher sur le gazon doit être considéré comme un battage de grain et la capture d’une mouche comme une chasse interdite[1] ?

Jésus haussa les épaules.

— Pour des interprètes de la loi, fit-il, vous n’êtes pas bien ferrés sur votre Bible.

— Vraiment ?

— Mais oui, ne vous déplaise !… Ne savez-vous donc pas que David, un jour qu’il était affamé, entra dans une synagogue, mangea les pains de proposition qu’il n’était permis à personne de manger, si ce n’est aux prêtres, et en donna aux compagnons qu’il avait avec lui ? Cela se passa du temps qu’Abiathar était grand-prêtre…

— Soit ; mais comment ce fait peut-il excuser l’acte de vos collègues ?

— Eh ! eh ! puisque David, dans un extrême besoin, a pu mettre la main sur les pains sacrés et violer ouvertement les préceptes de Moïse, comment faire un crime à mes compagnons affamés d’avoir, pour se soutenir, cueilli quelques épis dans un champ ?

Les espions n’étaient pas des pharisiens de premier ordre.

S’ils avaient été plus malins, ils auraient pu répliquer au Verbe que, d’abord lui-même, il ne connaissait pas trop la Bible, vu que le grand-prêtre cité par Jésus se nommait Achimélech et non Abiathar, et qu’ensuite David, sacré par Samuel, avait reçu le sceau de Dieu, que n’avaient pas nos vagabonds, nullement sacrés par aucun grand-prêtre.

En outre, David avait le droit de manger les pains de proposition. Ces pains, au nombre de douze, figuraient chez les Juifs les douze tribus. On les pétrissait avec une pâte faite de la meilleure farine, et on les plaçait dans le sanctuaire des synagogues

  1. Maimonide, Livre des Préceptes, chap. VII.