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UN DIVORCE

vigne, fille du soleil, de l’atteinte des brouillards et des gelées.

Claire n’attache sur ces choses qu’un œil distrait ; elle ne comprend plus comment Ferdinand peut s’oublier si longtemps loin d’elle. Imagine-t-on ce que deux hommes peuvent avoir à se dire pendant plus d’une heure entière ? M. Monadier n’est pas un ami intime de Ferdinand ; et quand même il le serait !

Au milieu de tous ces gens qui vont et viennent, deux à deux ou par groupes, causant, riant, occupés, Claire se sent isolée d’une manière fâcheuse. Elle est même persuadée qu’on la remarque, et, pour comble d’embarras, tout à coup elle aperçoit mademoiselle Herminie, sa couturière, devenue depuis peu madame Fonjallaz, et qui, parée, triomphante, appuyée au bras de son mari, passe devant elle en lui adressant d’un air plus impertinent que jamais un court salut, accompagné d’un étrange sourire.

Son mari ne l’a point quittée. Il est près d’elle, attentif à tout ce qu’elle dit, attaché comme une conquête. Elle est plus petite que lui, mais comme elle le domine et l’absorbe ! On ne voit qu’elle dans le groupe qu’ils forment tous deux. Elle est rayonnante d’orgueil, de grâce, de beauté ; c’est une petite reine. Appuyée sur le bras de son mari, elle s’y suspend, lui parle à l’oreille, rit aux éclats, le tutoie tout haut, et regarde à tout moment l’heure qu’il est à sa montre neuve, en faisant jouer sa chaîne et ses bracelets. Comme ils vont et viennent sur le pont, chaque fois qu’ils passent devant Claire, madame Fonjallaz laisse tomber sur elle un regard de commisération. Une fois, elle chuchote quelques mots à l’oreille de son mari, qui regarde Claire, et celle-ci entend ce mot prononcé avec un accent d’insultante pitié : Déjà !