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UN DIVORCE

— En effet, s’écria mademoiselle Charlet, quand il logea chez vous, je me le rappelle, vous paraissiez de grands amis.

— Les sympathies s’effacent quelquefois, répliqua M. Sargeaz avec un amer sourire.

— Non pas dans un caractère juste, à moins de choses graves, dit Mathilde ; sir John Schirling est digne de ton amitié.

— Il a maintenant mon estime, répondit M. Sargeaz.

Il détourna la conversation, et, tandis qu’ils suivaient la route, dont la ligne longue et blafarde tranchait au milieu des ombres, il interrogeait Mathilde sur les détails de son existence loin de lui, revenant sur des sujets déjà traités dans leur correspondance, mais dont il lui faisait préciser les circonstances et le sens. Et, malgré la présence du comte, qui marchait à côté d’elle, malgré celle de la tante Charlet, devenue d’ailleurs sourde, à son grand regret, Mathilde, en répondant à son père, révélait ses ennuis, ses haines, ses enthousiasmes. Jamais ce caractère âpre, noble et ardent ne s’était épanché avec plus de verve ; car elle avait près d’elle, pour la première fois, un être habitué à la comprendre, et qu’elle aimait et respectait.

— J’ai vécu seule jusqu’ici, mon père, dit-elle, et j’ai vingt-sept ans. Plus que seule, car j’étais parmi des êtres hostiles, indifférents ou railleurs, et toujours occupée, soit à me contenir, soit à me défendre. Il n’y a que sir John Schirling qui, bien que faible et découragé lui-même, m’ait été un appui. J’ai lutté vaillamment, je te le jure, et sans regret ; et les moments de faiblesse où j’ai pleuré et maudit la vie ont été rares. Mais enfin je suis lasse ; il me faut vivre d’une autre vie. Je ne te quitterai plus.