Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/450

Cette page a été validée par deux contributeurs.
438
UN DIVORCE

— Où est ma fille ?

— Là-bas avec Claire, dans les noisetiers, répondit madame Grandvaux, s’empressant d’ouvrir la porte qui donnait sur le jardin.

Au moment d’en franchir le seuil :

— Viens donc, dit M. Sargeaz avec un regard étincelant de joie et de tendresse en s’adressant à Dimitri.

Et tandis que, suivi du jeune comte, il s’avançait d’un pas rapide vers l’allée des noisetiers, son oreille cherchait à saisir les sons oubliés de la voix de sa fille. De l’autre côté du mur de feuillage, les deux arrivants entendirent ces paroles, prononcées d’une voix vibrante et ferme :

— Tu le lui dois. On n’accepte pas l’amour d’un homme pendant plus de trois ans pour le congédier après.

Au moment où Mathilde achevait ces mots, elle vit son père devant elle, et, le reconnaissant, elle se jeta dans ses bras, avec un grand cri. Tandis que, se tenant toujours embrassés, ils relevaient la tête pour se regarder l’un l’autre, Dimitri contemplait l’expression de ces deux visages, transfigurés par la joie et par l’amour. C’était un de ces moments où Mathilde devenait belle. M. Sargeaz bientôt se souvint de son élève et s’écria :

— Et voici ton autre frère, Mathilde, voici Dimitri !

Mademoiselle Sargeaz enveloppa le jeune homme d’un regard investigateur, quoique bienveillant. Il soutint cet examen avec calme et noblesse. Puis elle lui tendit la main, qu’il baisa.

— C’est la mode russe, dit le père en souriant. Quand vous vous sentirez plus frères, vous vous embrasserez.

Ils revinrent à la maison, et tout le reste de la journée se passa en récits mutuels, où la douleur eut cette part royale qu’elle prend dans nos destinées.

M. Sargeaz causa longtemps en particulier avec Claire,