Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
UN DIVORCE

bien mérité. Mais ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’en abdiquant votre personnalité il vous a fallu mettre de côté, en même temps, toute dignité, toute pudeur, toute vertu, toute force, et que, en acceptant les vices de vos maîtres, vous avez contracté de plus ceux de l’esclave. La moitié de votre âme s’est éteinte ; vous consentez, à la suite de l’homme, à renier l’humanité ; vous que des flatteurs représentent comme le type du sentiment, comme l’être maternel par excellence, vous êtes devenues sourdes aux cris de l’enfant abandonné aussi bien qu’aux larmes de la femme trompée, et la maternité, cette institution divine, n’a d’autre valeur à vos yeux que celle d’un décret du Code civil. Bientôt l’espèce tout entière se réduit pour vous à votre famille ; vous ne voyez et vous ne sentez plus que les vôtres dans le monde entier ; le reste de l’humanité n’est plus que le champ où vous pouvez semer et faire croître pour eux quelque moisson grasse, colombes à la maison, crécerelles au dehors. Cependant vous n’avez fait tout cela, pauvres courtisanes, vous ne vous êtes ainsi transformées que pour plaire à vos seigneurs, et vous n’y parvenez pas même. On vous trahit, on vous humilie. Mais vous tenez en vos mains votre vengeance, une vengeance forte et complète, car si quelque jour le génie de l’homme vient à s’éveiller en lui et qu’il veuille s’élancer vers des horizons nouveaux, collées à ses flancs, l’enlaçant par cent liens que tout son orgueil ne peut rompre, vous le retenez à terre, et, sous la boue des insinuations égoïstes et des jouissances matérielles, vous étouffez le feu sacré. On connaît bien ce fait, mais sans en comprendre la cause : les poëtes ont peint Armide et Circé ; je voudrais être poëte, moi aussi, afin de peindre sous ses véritables traits la mère de famille, l’épouse légitime, moins volup-