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UN DIVORCE

en aide, car elle avait eu beau parler à son père en leur faveur, elle n’avait rien obtenu.

— Mon père a raison, répondit Claire. Vionaz est un ivrogne.

— Ce n’est pas la faute de sa pauvre femme.

— Sans doute ; mais on ne peut donner à l’un sans donner à l’autre, dit Claire avec indifférence. D’ailleurs, il y a, je crois, des personnes qui les assistent.

Et elle racontait l’apparition du soir précédent, quand elles furent interrompues par deux visiteuses assez stupéfaites de se rencontrer. C’étaient Mathilde et madame Boquillon. La première félicita chaudement Claire d’avoir enfin pris le parti de rompre sa chaîne ; la seconde venait l’engager à la reprendre, au nom de tous les arguments qui font de l’obéissance aveugle un devoir et de la souffrance un bien. Claire écouta leur querelle assez passivement ; une autre lutte plus intime avait lieu dans son âme dès qu’elle était seule. C’étaient toujours le passé et l’avenir, Ferdinand et Camille, l’espérance et un remords.

Quand le mouvement et le bruit du jour avaient cessé autour d’elle, la nuit, dans ses insomnies ou dans ses promenades indécises, au milieu des ombres du soir, c’est alors surtout que ces deux forces contraires luttaient en elle, sans qu’aucune prît sur l’autre un avantage décisif ; car elles n’existaient qu’à l’état d’impressions, de sentiments, de désirs opposés, qui se combattaient sans règle. En rêvant à Camille, ses serments d’épouse, ses premières amours, lui revenaient à la mémoire, et alors elle rougissait et pleurait. Mais ensuite, en se rappelant tous ses malheurs, elle sentait le besoin d’être heureuse et se trouvait justifiée. La franchise et la noblesse de Camille en faisaient pour elle un être idéal, et elle s’étonnait presque