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UN DIVORCE

tences, tu le vois bien, sont forcément unies. L’abandonner de cœur et vivre avec lui…

— Il n’est plus à moi et je ne suis plus à lui, puisqu’il s’est donné à une autre. Il m’a frappée des coups les plus sensibles ; il a détruit pièce à pièce, malgré moi, l’amour que j’avais pour lui. Tu ne sais pas ce que c’est, ma petite, que d’être trahie par son mari, un homme à qui l’on s’est donnée tout entière, corps et âme, de passé comme d’avenir, trahie, rudoyée, outragée pour une créature indigne ! Et tu veux que je l’aime encore, lui qui ne m’aime plus ? que je rejette pour lui un des êtres les plus nobles et les plus désintéressés qui soient au monde, un homme qui me dit : Je ne vous demande d’autre bonheur que de vous laisser aimer !… Ma chère, c’est impossible, il faudrait avoir plus que du courage, il faudrait n’avoir point d’âme. Eh bien ! ajouta la jeune femme, en regardant sa sœur qui baissait les yeux toute pensive, à quoi songes-tu ?

— Oh ! je te comprends bien, dit Anna…

Mais, dans ses réticences, Claire sentait une opposition.

— Me blâmes-tu ? Parle, je veux savoir toute ta pensée.

Elle la pressa quelque temps encore, et la jeune fille, avec peine, dit enfin :

— Je comprends que tu ne peux t’empêcher d’aimer M. Camille ; mais je comprends aussi que ton mari et toi vous ne vous êtes jamais aimés.

— Jamais aimés ! répéta Claire avec stupéfaction. Lui, peut-être, mais moi ! Moi je l’aimais avec une ardeur, un dévouement…

— Tu le croyais ; et moi aussi je l’ai cru, en vous voyant, dans les premiers temps, si occupés l’un de l’autre, si heureux ensemble. Cela m’étonnait un peu ; je