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UN DIVORCE

— Une chose que je ne puis pas comprendre, ajouta mademoiselle Charlet, en s’adressant à Claire, c’est qu’il y a des gens qui assurent que tu refusais à ton mari tout témoignage d’affection. C’est une indigne calomnie, ai-je dit ; ma nièce connaissait trop ses devoirs… Il est vrai d’ajouter que d’autres prétendent, au contraire, que tu le fatiguais à force de tendresse. Enfin, vous savez, le monde se donne beau jeu à s’occuper de ce qui ne le regarde pas, et les langues en prennent à leur aise. Le mieux est de ne pas s’occuper de tout cela.

Mademoiselle Charlet, pourtant, continuait à ne pas parler d’autre chose. Claire, incapable de supporter plus longtemps cette conversation, s’en allait errer dans la prairie, remplie jusqu’aux lèvres de cette tristesse amère que nous avons tous, un jour ou l’autre, connue, et qui fait en nous de la vie comme un breuvage empoisonné.

Au milieu de l’atmosphère de l’automne, si pleine de douces choses et si délicieuse pour les cœurs heureux, sous un ciel ouaté de ces blancs nuages qui découvrent çà et là les profondeurs de l’azur, elle allait à pas saccadés sur l’herbe fleurie, ne voyant et ne sentant rien qu’une âpre souffrance.

Elle s’asseyait, se levait, marchait, au soleil ou à l’ombre, toujours la même, toujours dans l’ombre et dans le froid. Quelquefois, quand elle rasait les massifs de la prairie, d’un pas si morne qu’il n’éveillait aucun bruit, elle entendait son nom prononcé par ceux qui passaient, et, s’arrêtant alors, elle recueillait toujours quelque chose qui la blessait. Nul ne savait combien elle avait souffert, combien elle avait aimé, combien cruellement elle avait été frappée ; ils ne comprenaient pas, ne jugeaient qu’à la surface, et tous, hostiles ou bienveillants, l’insultaient toujours un peu.