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UN DIVORCE

Aussi, malgré ses résolutions, se laissait-elle aller souvent à penser à Camille, quand elle était trop irritée ou trop malheureuse des souffrances continuelles qu’elle éprouvait.

Outre les duretés de M. Desfayes, elle était cruellement froissée dans son orgueil et dans sa pudeur de savoir ses chagrins en proie à l’interprétation d’autrui ; car elle s’apercevait fréquemment, à mille indices, qu’il en était ainsi. Les gens ne l’abordaient plus du même air, et, soit de leur compassion, soit de leur curiosité, soit de leurs réticences, toujours elle recevait quelque blessure.

Claire alors ressentait contre sa rivale les élans d’une haine profonde. Madame Fonjallaz l’humiliait tout en la tuant. L’amour étant la seule carrière des femmes, elles y ont mêlé nécessairement leur ambition et leur vanité, dangereuse et triste alliance, comme on le sait bien. Être délaissée aux yeux du monde, subir le triomphe de cette insolente créature, que l’amour de M. Desfayes déclarait supérieure à Claire par le témoignage le plus éclatant !… Tout concourait à pousser au désespoir cette pauvre femme, ses facultés les plus vives et les plus généreuses, comme tout ce qu’il y avait en elle de préjugés et de faiblesses.

Un soir que, pendant le sommeil de sa petite fille, elle avait conduit Fernand sur la terrasse de Montbenon, elle s’y trouva tout à coup en face de Camille. Elle avait tant pensé à lui depuis sa dernière visite, qu’elle ne put s’empêcher de rougir, et elle détourna la tête, comme si elle ne l’avait pas vu. Il vint la saluer et s’informa de sa santé.

— Vous ne sortez plus, dit-il d’un ton de reproche.

— Je viens ici quelquefois ; c’est tout près de la maison.