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UN DIVORCE

la main, elle lui fit un signe, puis elle s’enfonça dans l’ombre du corridor.

Minuit venait de sonner. L’appartement était silencieux ; et dans la chambre seule où dormaient les enfants luisait la lumière pâle d’une veilleuse.

Louise, endormie sur le canapé, s’éveilla avec peine, en s’étirant de toutes ses forces et en répétant :

— Eh ! pauvre madame ! j’étais si inquiète de vous !

M. Desfayes n’était point rentré. Claire, accablée de fatigue, se coucha, mais ne dormit pas. Son agitation était immense. Idées, pensées, images s’entre-choquaient en elle, épuisée et presque passive comme une foule tumultueuse dans une arène.

Trois figures étaient constamment devant ses yeux, celle de Ferdinand, dur et colère, comme lorsqu’il l’avait quittée en disant : « Je ne vous pardonnerai jamais ; » celle de la Fonjallaz, ironique et triomphante, dont le regard insultant et faux la blessait comme une lame empoisonnée ; puis le noble visage de Camille, animé de l’expression ardente et pure qu’il avait toujours en lui parlant ; et cette dernière image était si douce à voir que la jeune femme finit par ne plus regarder qu’elle.

Tout ce qu’il avait dit le soir même lui revint dans l’oreille, avec l’accent dont il l’avait prononcé, musique charmante, dont les notes lui tombaient dans le cœur, aussi doucement que des gouttes de rosée sur une plante desséchée et haletante. Puis elle en creusait le sens : Qu’avait-il voulu dire quand il avait refusé d’épier Ferdinand, afin que son dévouement restât pur d’intérêt personnel ? Ce serait donc son intérêt personnel, à lui, qu’elle se détachât complétement de M. Desfayes ? Il le désirait donc ? Oh ! non, il était trop honnête homme !… Eh bien ! oui, il l’était, il voulait l’être, et c’est pourquoi il se dé-