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UN DIVORCE

mouvement spontané, lui tendit la main en prononçant à voix basse un merci plein de ferveur. L’endroit où ils se trouvaient était encore peu éclairé ; toujours cachée sous son voile, elle s’attendait à le voir s’éloigner sans la reconnaître ; mais il resta debout en face d’elle, visiblement ému, et la couvrant du regard :

— Madame, dit-il en s’inclinant profondément, c’est vous !

Par le seul accent donné à ce mot « madame, » il l’avait nommée ; car sa voix avait pour Claire des inflexions différentes de celles qu’elle avait pour les autres.

— Vous allez me permettre de vous reconduire jusque chez vous, ajouta-t-il en lui offrant le bras.

— J’espérais, répondit-elle d’une voix oppressée, que vous ne me reconnaîtriez pas.

— Je vous reconnais toujours, madame. L’impossibilité où j’étais de vous supposer dans une pareille situation m’a seule empêché tout à l’heure…

— Monsieur Camille, dit-elle en le ramenant dans l’ombre du côté du pont, me voilà obligée de vous parler de choses qu’autrement j’aurais dû vous taire ; mais il faut que je me justifie vis-à-vis de vous de m’être exposée à l’aventure de ce soir.

— Vous justifier, madame, vis-à-vis de moi ! Oh ! ne parlez pas ainsi ! Vous ne savez donc pas combien je vous admire et combien je vous respecte ? Ne sais-je pas d’ailleurs qu’il y a des peines si cruelles, qu’elles font oublier les considérations vulgaires ?

— Ah ! vous devinez tout, dit-elle d’un accent où passa l’élan de son cœur.

Et s’appuyant sur le bras du jeune homme :

— Oui, vous avez compris combien je souffre ; et moi