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UN DIVORCE

et tout en bas se détachait la ligne blanchâtre du Flon, qui, traversant les écluses et les canaux jetés sur sa route, remplissait l’air d’une longue note plaintive, incessamment prolongée. Les maisons les plus proches étaient bien loin ; quant à ces promeneurs mystérieux, quels étaient-ils ?

Claire, effrayée, pressa le pas ; mais l’homme ne cessa point de la suivre, et tout à coup, la saisissant par le bras :

— Dites donc, hein ? faut pas être si farouche, la belle enfant !

Elle ne put retenir un cri, auquel répondirent à quelque distance des rires grossiers, et, jetant autour d’elle des regards éperdus, elle ne vit rien que les silhouettes confuses de ceux qui l’insultaient. Derrière elle, mais au loin, sur l’asphalte du trottoir, retentissait un pas rapide et sonore.

— Vous vous trompez, monsieur, dit Claire d’une voix haletante, c’est une honnête femme à qui vous parlez.

De nouveaux rires s’élevèrent, et du groupe insulteur un homme se détachant vint regarder curieusement la jeune femme, puis il retourna vers les autres et ils chuchotèrent.

— Une honnête femme ne vient pas seule ici, le soir, reprit en ricanant celui qui retenait Claire ; vous êtes là pour quelqu’un, ma belle, et, puisqu’il n’y est pas et que j’y suis, moi, on peut bien me donner un petit baiser.

— Oh ! ne me touchez pas ! s’écria-t-elle, à moitié folle de terreur à l’idée de ce contact ignoble ; laissez-moi ! cria-t-elle encore en se débattant, car il l’avait saisie ; au secours ! à moi !… À moi, monsieur, dit-elle avec un accent suprême d’espoir et de prière en apercevant en