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UN DIVORCE

au monde ; et elle les enviait tous, car, elle, elle ne savait plus. La base sur laquelle son existence était assise semblait renversée. Avait-elle encore son mari ? Y avait-il au monde un peu d’amour encore dont elle pût vivre ? ou bien ce qui lui restait à passer de jours, c’est-à-dire presque toute une vie, était-il condamné à la solitude, au néant ?

Une fois ou deux il lui sembla que, malgré son voile, on la reconnaissait, qu’on la regardait en parlant d’elle, et même, à certains mots et à certains rires, elle s’imagina qu’on parlait de sa querelle du matin avec madame Fonjallaz.

C’est qu’elle ne sentait plus en elle, comme autrefois, la femme honorablement posée dans le monde, qui inspire le respect sur son passage, mais une de celles dont le nom sert, de crible aux sarcasmes de chacun. De tout ce bonheur, doux, facile et beau, qu’autrefois elle considérait comme étant sa vie même, elle ne voyait plus autour d’elle que les débris, et là, dans cette ombre où elle était, en face de ce jardin plein de rires et de lumières d’où elle était bannie, elle éprouvait cette impression horrible pour l’être vivant, cette impression du vide, de l’absence des conditions de la vie morale qu’on nomme le désespoir.

Elle-même, elle-même elle avait changé ! son amour, qui était sa foi, s’était altéré en elle, détruit peut-être. Il l’avait tant fait souffrir ! Et où se trouvait-il, à cette heure ? Occupé quelque part sans doute à choquer son verre pour étourdir ses propres ennuis, ne pensant point aux douleurs de sa femme, ne pensant qu’à sa maîtresse.

Elle sentit s’élever de son âme, pareil à un jet de lave, un élan de haine qui les enveloppa tous deux, et, fré-