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UN DIVORCE

pour elle et pour ses enfants, et songea au parti de la fuite, que lui conseillait Mathilde. Mais son père ne le lui avait point proposé, et, dépourvue comme elle était de tous moyens d’action, sans l’aide de sa famille, elle ne pouvait rien.

Il fallait donc attendre, et, comme le lui conseillait son père, prendre patience. Mais quelle vie ! Le froid l’en prenait au cœur. Elle se rappelait le temps où déjà ils avaient vécu l’un à côté de l’autre sans se parler, où leurs yeux en se rencontrant se détournaient, où ils passaient droits et roides l’un près de l’autre sans se toucher, où, quand il ouvrait la bouche, elle éprouvait un saisissement au cœur dans l’attente des paroles dures ou insultantes qu’il allait prononcer. Vivre ainsi ! mieux valait cent fois être morte ! Mais les enfants ! – Ce lien de famille est si puissant qu’il retient dans l’être jusqu’au désir de sa liberté.

Il aimait ses enfants, lui aussi, pourtant ; il commençait à s’intéresser à la petite, depuis qu’elle lui souriait, et le jour où, en le voyant, elle avait tendu les bras pour aller à lui, il avait paru tout attendri, tout content. Pour Fernand, bien qu’il s’obstinât à ne pas comprendre les ménagements dont l’enfant avait besoin, il était fier et même quelquefois ravi de son intelligence. Il le regardait vraiment avec une tendresse de père quand, — avant la recrudescence de sa fatale passion, — il s’oubliait, assis au milieu d’eux, à le regarder jouer. Et déjà ils causaient ensemble, le petit Fernand assis d’un air sérieux sur les genoux de son père et lui faisant d’interminables récits ; Ferdinand l’écoutant d’un air grave aussi, mais gros de sourires, et avec une complaisance que trahissaient de temps en temps un regard lancé à Claire, un baiser au front de l’enfant.