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UN DIVORCE

— Voudriez-vous me dire pourquoi, madame ? lui demanda-t-il avec un regard plein de reproche.

— Mais… si vous n’avez pas de peines sérieuses…

— Et si j’en avais ?

— Ah ! c’est différent… je ne les connais pas… mais elles m’affligent.

— Vraiment ! dit-il avec reconnaissance, en lui prenant la main. Eh bien, ne vous en affligez pas. Dans une peine profondément sentie, il y a toujours quelque chose qu’on aime.

— Alors, reprit-elle en rougissant, ce seraient… des peines… Elle s’arrêta.

— Je ne puis vous les confier, madame.

Claire prit le ton de la plaisanterie pour lui dire :

— Vous m’avez tant de fois assurée de votre confiance en moi !

— Oui, je vous l’ai dit, simple et bonne comme vous l’êtes, avec vous, la confiance est naturelle et involontaire. Mais… vous ne comprendriez même pas ma souffrance, madame. L’amertume n’est point entrée dans votre cœur en même temps que le chagrin. Vous me blâmeriez, j’en suis sûr, si je vous disais maintenant que ce qui règne le plus en moi, c’est un dégoût profond de toutes choses.

— Oh !… pourquoi ?

— Pourquoi ?… pourquoi ? répéta-t-il (son regard se fixa sur quelque chose d’invisible, et une rougeur lui monta au front) ; parce qu’il n’y a rien, si pur, si adorable qu’il puisse être en soi, qu’une fatalité odieuse n’ait soin de gâter, de souiller, de flétrir. On se laisse aller naïvement à aimer, à adorer, à rêver ; bah ! votre pauvre idole n’a qu’un piédestal de fange, où elle s’enfonce à vos yeux. La plus enviable des femmes n’est