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UN DIVORCE

Ces Français, continua M. Grandvaux après le départ de Camille, tandis qu’il allumait une chandelle, posée en faction à la porte de la cave, ces Français sont toujours à tourner autour des femmes. Je vous demande ce que mes filles ont à faire de celui-là. Savez-vous ce qu’il est venu chercher dans le pays ?

— Il y est venu comme peintre ; mais la politique y est bien aussi pour quelque chose. C’est un bon garçon, mais de caractère un peu frondeur.

— Moi, ce sont les Sargeaz qui me l’ont amené. Les pauvres enfants ! je n’en veux pas dire de mal, et d’ailleurs tout le monde les connaît bien ; mais ce sont tous les deux de tristes têtes, chacun dans son genre, et mon pauvre beau-frère m’a laissé là une rude corvée en me priant de veiller sur eux. Ça n’est pas que j’y crains ma peine, mais c’est parce qu’ils tournent mal. Et voyez-vous, quand on est bon, l’on prend vraiment trop de chagrins pour les autres… Je veux vous faire goûter de celui-ci : c’est du salvagnin de ma vigne.

M. Grandvaux essuya du pan de sa redingote un verre qu’il prit sur le tonneau, le remplit, but le premier, remplit le verre de nouveau, et le tendit à Ferdinand. Pendant ce temps, celui-ci disait :

— Étienne est un bon garçon, un excellent camarade.

— À vous ! Et dites-moi s’il manque de feu. Un bon garçon ! Oui, certainement, un bon vivant, un cœur d’or, mais pas plus de cervelle qu’un lièvre, mon cher Desfayes, et un garçon qui n’a pas de fortune du tout, passer sa vie au café, non-seulement à boire, mais encore à brasser les cartes, sans songer à l’avenir, vous m’avouerez que c’est une pitié. Je ne dis pas cela pour ceux qui ont de l’argent, monsieur Ferdinand, et qui ont encore de quoi se retourner, même après avoir