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UN DIVORCE

ferme de Beausite un aspect plus heureux ; car au moment où Ferdinand et Camille entrèrent dans la cour, il y régnait une grande animation ; c’était une foule bruyante de poulets, de canards et de dindons, se poussant et s’empressant autour d’une jeune fille, assise sur une pierre, et qui, serrant d’une main contre elle son tablier gonflé de grain, de son autre main ouverte distribuait la pâture aux volatiles affamés.

À peine étendue, la petite main devenait vide, et quand elle revenait du côté du tablier plein, la foule emplumée la suivait avec des regards et des cris de désir, et les plus hardis sautaient sur les genoux de la pourvoyeuse ou sur ses épaules. Au milieu des glapissements, des piaillements, des sifflements de ce populaire, le rire argentin de la jeune fille retentissait, et par moments sa voix douce et claire s’efforçait d’être grondeuse.

— Là ! un peu de patience ! vous êtes aussi trop gourmands ! Retire-toi un peu, gros, et laisse manger ce petit. Vous n’avez pas de justice du tout, mes pauvres bêtes !

Malgré ces exhortations, il arrivait là ce qui se produit dans toutes les foules : l’émulation stimulant l’avidité, le désir de chacun s’emportait, par la peur du bien des autres, jusqu’à l’exaspération, et les choses allèrent si loin, qu’un gros dindon, plusieurs fois repoussé déjà, vola sur la tête de la jeune fille.

— Oh ! c’est trop fort ! s’écria-t-elle ; et, son cou délicat, fléchissant sous le poids, le lourd volatile retomba, emportant à ses pattes quelques cheveux blonds.

— C’est trop fort ! répéta Camille.

Mademoiselle Anna Grandvaux, retournant la tête, le salua en souriant.

Celle-ci était une très-jeune personne, de taille fluette.