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UN DIVORCE

riants, partout où a pu se poser avant elle le pied de l’homme.

On ne trouve presque nulle part en Suisse de terrain inculte, pas un coin où la ronce ait pu vivre en paix. La montagne et les glaciers laissent à ce peuple peu d’espace ; aussi, dans les lieux mêmes où manquait le terrain, portant la terre sur le roc et l’y maintenant par des murailles, il a planté ; et jusqu’au front du rocher perpendiculaire et sourcilleux on voit s’étaler des espaliers, dont les branches supérieures vont atteindre les racines de quelque jardin suspendu.

Sur les pentes moins rapides, ou dans les terrains ombreux, c’est la prairie ; mais la prairie épaisse, chevelue et solitaire, où ne bondit et ne rumine aucun troupeau. De toutes parts c’est l’utile qui règne, l’industrie, la patience et l’intelligence humaine, et certainement cela est bien ! mais ainsi partout l’empreinte de l’homme se substitue à celle de la nature, et peu à peu s’effacent les traits de ce grand visage, doux, sublime, austère et rêveur, sous l’uniforme dessin que trace sans art un rude ouvrier.

Partout l’infini cède à la mesure, l’ensemble au détail ; et la lande sans rivage, le coteau hérissé de broussailles, aux sentiers perdus, les grandes forêts, les ajoncs sauvages, les herbes folles, s’en vont !…

Elle est donc symétrique et un peu froide, la ferme vaudoise, avec ses étables fermées, où ruminent, dans une chaude obscurité, les vaches laitières, et ses poules en cage, perchées sur une patte et le plumage hérissé, qui d’un air mélancolique, à travers les barreaux de leur volière, contemplent le jardin sans ombrage et le champ de blé veuf de bluets.

Cependant, quelque poétique influence donnait à la