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UN DIVORCE

jusqu’à des centaines, s’il le faut. Vous surveillez tout, vous avez la comptabilité, vous faites les annonces, les traités ; vous brocantez ça de votre mieux, et vous avez la moitié des bénéfices ; vous, fournissant votre temps, moi, mon capital. Nous serons probablement, dans quatre ou cinq ans, à la tête d’une des premières maisons de cirage de l’Europe. Jacquand s’est fait des millions ; ma foi ! ce sera notre tour. Voyez, réfléchissez, si ça vous va, c’est affaire faite.

— Mais il faudrait donner ma démission d’employé ! s’écria Étienne.

— Indubitablement. Oh ! c’est une affaire qui exige qu’on s’en occupe. Pour moi (il se prit la tête à deux mains), mon temps est absorbé au point que je ne me connais plus moi-même ! Je suis étourdi, affolé ! Au revoir, mon cher Sargeaz !

Et le regardant un moment d’un air attendri :

— Ma foi ! je serais bien heureux, allez, de faire votre fortune. Ah ! l’amitié ! Tenez, ne m’en parlez pas ; il n’y a que ça de bon ! Au revoir, mon très-cher, au revoir !

Et il courut rejoindre un groupe qui l’appelait.

— Une affaire de cirage ! dit Étienne ; quelle rêverie ! Mais les millions de Jacquand, n’était-ce pas une réalité ? — Il n’y a plus que les affaires ! Faites des affaires ! — Que de fois il avait entendu cela ! Et il voyait en esprit s’agiter la ruche bourdonnante, empressée, hâbleuse et triomphante des spéculateurs, pendant que, dans un coin, à l’écart, le dos courbé, se ratatinaient les employés de tous étages, silencieux, laborieux, humiliés, pauvres…

Il n’était plus seul Anna et Claire, M.  et madame Renaud étaient revenus s’asseoir près de lui. Claire était très-pâle. Le caractère inquiet qu’avait pris depuis quelque temps sa physionomie était en ce moment plus sen-