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UN DIVORCE

d’autres, pour mener la vie si rondement, quand moi je m’y accroche à chaque pas.

La figure de Monadier prit l’expression d’une vanité triomphante, et, saisissant Étienne par l’épaule, tout en le contemplant de ses gros yeux riants :

— Eh ! eh ! eh ! eh ! dites donc, est-ce que vous voudriez avoir mon secret ?

— Ma foi ! oui, dit le jeune homme ; comment faites-vous ?

— Ah ! vous voulez mon secret ! Il faut comme cela que je vous dise comment je fais… Hum ! hum ! ta, ta, ta, ta ! Eh bien, nous allons causer.

On apporta une bouteille de Lavaux. Il avait demandé du meilleur très-haut. Quand ils eurent choqué les verres :

— Ah çà ! voyons, dit-il d’un air paterne, est-ce que vous penseriez enfin… là, sérieusement, à votre avenir ?

— Parbleu ! si quelqu’un est las de l’existence qu’il mène, je vous jure que c’est moi. Ce n’est pas que j’y aie jamais trouvé grand plaisir, allez, et ce qu’elle m’a rapporté de plus clair, ç’a toujours été des ennuis et des reproches.

— Euh ! fit Monadier en haussant les épaules et avec une moue de bonhomie, les grands parents sont si grondeurs ! Les gens deviennent comme ça sévères quand ils ne peuvent plus s’amuser… Bah ! mon cher, que voulez-vous ? quand nous serons pères, nous ferons de même, nous aussi. Ah çà ! mais, dites donc… est-ce vrai ?…

Il se mit à rire en contemplant Étienne de ses gros yeux rutilants, mais sans véritable éclat, pareils à un globe de cristal traversé par la lumière.

— Eh ! eh ! eh ! on dit que vous donnez des citoyens à la patrie ?