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UN DIVORCE

— Honneur au courage malheureux ! dit Renaud en faisant le salut militaire.

Et ils passèrent en riant.

— C’est ce soir qu’il y fera beau ! s’écria le père Grandvaux, et qu’on roulera bien sur le flanc de la montagne. Plus d’un mari ce soir manquera à l’appel.

— Ça sera la fête des lanternes, dit Ferdinand ; on verra courir par ici des ombres et des lumières, et l’on entendra des voix d’épouses éplorées, auxquelles répondront de sourds ronflements.

— Nous verrons, nous verrons, reprit Renaud, si, en votre qualité de capitaine, vous ne vous croirez pas obligé de donner l’exemple.

— À Lausanne, à la bonne heure, mais ici je n’ai pas de commandement.

Du point où l’on était parvenu, on découvrait à l’horizon un cercle presque entier de montagnes, et ce pays féerique, aux dômes éblouissants, aux flèches hardies, aux tours massives, aux creux immenses et aux grands escarpements, devenait un pêle-mêle fantastique, un monde à nourrir des rêves infinis. Mais lorsqu’ils arrivèrent au sommet du versant, ils se trouvèrent sur un plateau légèrement creusé, comme le tablier d’une berceuse, et un spectacle tout autre frappa leurs yeux.

C’était comme une fourmilière humaine, bariolée de couleurs diverses, qui s’agitait en tous sens à la surface d’une vaste prairie, dominée au nord par la crête du mont. Les tables en plein vent, le toit pointu des tentes de coutil où s’abritaient des restaurants plus confortables, l’éclat des armes, la nasillarde musique des carrousels et des jeux, les uniformes, les vêtements de toutes formes et de toutes couleurs, et les chapeaux de paille aux larges ailes et aux longs rubans, que le vent faisait flotter, la