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UN DIVORCE

n’ayant trouvé qu’à plusieurs cents pieds au-dessus d’elle, dans les plis d’un mont, une prairie assez vaste pour contenir son rassemblement, avait décidé qu’il se tiendrait là. En sorte que, depuis la veille, on voyait, s’accrochant aux flancs du mont, bêtes et gens monter à l’envi les ustensiles : tables, bancs, vaisselle, tonnes et tonneaux, et la nourriture nécessaire pour quatre à cinq mille personnes.

Ce n’est pas que le cercle de Cully fournisse des milliers de soldats ; mais ces fêtes militaires sont aussi des fêtes de famille, et le moindre bambin n’y pouvait manquer.

Après que nos voyageurs eurent fait une courte halte à la campagne Renaud, ils achevèrent l’ascension du mont. Claire, appuyée sur le bras de son mari, s’en acquitta heureusement. Pour tout véritable Suisse d’ailleurs, monter n’est pas une fatigue, c’est marcher tout simplement. La pente était verdoyante et semée de fleurs. De petites prêles abondaient, et la gentiane, çà et là, montrait son bleu calice. Quelques attardés montaient encore ; un seul homme descendait, un magnifique sapeur, dont la démarche vacillante rappelait le balancement d’une tour minée par l’incendie ou par les flots. Cependant le sapeur ne s’écroulait pas, et, toujours à la recherche de son équilibre, il le rattrapait toujours.

— Quoi ! s’écria Renaud, déjà blessé à la bataille, mon brave ? Vous êtes donc allé au feu le premier ?

Le sapeur le regarda d’un air hébété ; mais comme il entendait parler de bataille, il se mit à crier : Vive la Suisse ! avec tant d’enthousiasme que, perdant de vue la terre, il s’abattit pesamment près d’un buisson de genévriers.