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UN DIVORCE

dessus, et ne pouvant comprendre qu’il lui demandât de ne plus souffrir.

Elle était peu habituée à formuler pour elle-même ce qu’elle éprouvait, quoique la douleur et l’inquiétude l’eussent forcément initiée à la réflexion ; mais elle sentait bien que quelque chose de sacré s’était rompu entre elle et Ferdinand ; que leur union désormais n’existait plus au même titre ; que c’en était fini à jamais.

Pour lui, il ne soupçonnait en rien l’affreuse déception de sa femme. Il ne songeait pas qu’elle avait mis toute sa vie sur un seul amour. Il n’avait jamais eu de culte, lui. Enfant, de la bouche de son père et de la part de tous ceux qui l’entouraient il avait reçu cette idée, — non pas sous forme de leçon, mais comme expression familière de la vérité, — que l’amour, pour un homme, ce n’était pas une seule, mais plusieurs. Il n’avait pu s’unir véritablement à sa femme par la seule raison qu’il s’était séparé de ses maîtresses. Hors de l’unité, il ne peut y avoir de religion dans l’amour.

Et tandis qu’elle s’était donnée au contrat tout entière, passé, présent, avenir, avec toute cette science divine, faite d’ignorance ou d’oubli, qui a fait supposer à l’homme l’enfant venait du ciel, lui, n’avait pu donner de lui-même que la part laissée par ces épreuves, qui effacent dans l’âme jusqu’au sens confus des choses sacrées.

— Eh bien ? demanda-t-il d’un ton où le mécontentement perçait.

— Je ne sais que te répondre, dit-elle en pleurant. Je voudrais te pardonner et je ne puis pas ; je souffre beaucoup. Attendons un peu. Je tâcherai d’être plus forte ; je tâcherai d’être comme auparavant.

Mais il frappa du pied et se mit à marcher dans la chambre à grands pas.