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UN DIVORCE

retarder, fût-ce d’une minute, cette entrevue, et se sauva dans sa chambre.

Quelques instants s’écoulèrent. Elle entendit ouvrir la porte du salon, et il appela : Claire ! Elle n’eût pu répondre, l’aurait-elle voulu. Elle avait la gorge serrée ; sa respiration était suspendue ; la voix de son mari lui faisait mal. Ferdinand vint dans la chambre.

Il n’y avait qu’une seule bougie, et Claire, assise dans la chauffeuse, vis-à-vis du feu, tournait le dos à la lumière. Aussi M. Desfayes ne put voir le trouble de sa femme, et de sa voix habituelle :

— Que fais-tu là ? dit-il. Je t’attends ; viens donc souper.

Elle fit un grand effort pour répondre :

— Je n’ai pas faim.

— Pourquoi donc ? Es-tu malade ?

N’obtenant pas de réponse, il crut que c’était une bouderie, et, comme il n’aimait pas « les caprices de femme », il tourna sur ses talons, et alla, sans plus d’explication, se mettre à table.

Il avait laissé les portes ouvertes ; elle entendait le cliquetis de sa fourchette et de son couteau, le bruit du verre. Comme d’habitude, il soupait avec sensualité, sans s’occuper d’elle. Ce n’était pas la première fois qu’il en agissait ainsi. Jamais les larmes de Claire ou ses indispositions n’avaient troublé les satisfactions égoïstes de son mari ; jamais quoi que ce fût, à sa connaissance, n’avait empêché Ferdinand de bien manger ni de bien dormir.

Elle avait déjà souffert de cette insensibilité sans lui en vouloir beaucoup. Cette fois, en entendant, du fond de sa solitude et de sa douleur, boire et manger largement et bruyamment cet homme qui venait de briser son