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UN DIVORCE

Et toute l’amertume amassée depuis longtemps dans son cœur déborda en une intarissable confidence :

— M’a-t-il jamais aimée ? Ah ! je n’ai eu dans toute ma vie que quinze jours de bonheur ; là-bas, dans notre voyage ; il m’aimait, alors ! Jamais, depuis, mon cœur n’a cessé de regretter… Oh ! pourquoi cela n’a-t-il pas duré ?

— Parce qu’un véritable amour ne s’improvise pas, dit Mathilde. M. Desfayes ne t’aimait pas. Il était amoureux de toi, ce qui est bien différent.

— Je l’aimais tant, moi, que j’aurais sacrifié ma vie pour lui. Oui, pour lui, dans un danger, j’aurais été brave ! J’ai abandonné sans regret pour lui mon père, ma mère et ma sœur. Il me semblait le premier des hommes. Tout ce qu’il pensait, je croyais que c’était bien ; tout ce qu’il avait fait, je ne pouvais croire que ce fût mal ; je ne songeais qu’à lui plaire, je ne cherchais mon devoir que dans ses yeux.

— Et tu t’es fait mépriser de lui, ma pauvre enfant. C’était presque juste.

— Oh ! comment fait-on pour ne pas aimer ceux qui vous aiment ? Rester là, froid, muet, à côté d’un cœur plein, qui brûle de s’épancher ! Dédaigner l’amour ! l’amour ! comprend-on cela ? Mais c’est qu’il ne m’aime plus ; c’est qu’il aime cette femme, une coquette effrontée ! une créature que le premier venu prend par la taille ; j’ai vu cela, moi, l’été dernier, au bal sur Montbenon. Elle rit, elle parle haut, elle a de grands yeux noirs. Ils trouvent cela beau. Oh ! moi, je la trouve affreuse, mais affreuse !… Je ne peux pas souffrir cette figure-là. Être désagréable, c’est pis que d’être laide, n’est-ce pas ? Ah ! que vais-je devenir ? Que faire ? Conseille-moi. Tout ceci m’ôte la raison. Qui m’aurait dit, ma