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UN DIVORCE

s’élevaient en l’air. On respirait dans l’atmosphère les langueurs d’un ineffable réveil, et les bruits de la ville montaient, harmonieux et sonores.

Claire disposait la ruche d’un petit bonnet, et travaillait, empressée, regardant son œuvre avec amour.

En effet, c’était joli, et cela plaisait au cœur autant qu’aux yeux. Il y avait sur la table des chaussons blancs, longs comme le doigt, où l’imagination plaçait déjà de petits pieds roses. Peut-être n’y a-t-il pas un seul individu de l’espèce humaine qui puisse regarder sans émotion ces objets destinés à l’être nouveau qui va venir, mystérieux et faible. Ce petit bonnet arrondi ne semble-t-il pas contenir la tête fragile, aux traits indécis, où flotteront, enveloppés aussi de langes et vagissants, l’amour et la pensée ?

S’emparant des ciseaux, la jeune mère, d’un air de triomphe, coupa le dernier fil de son ouvrage, et, renversant sur sa main le petit bonnet, fit le geste d’adresser un baiser à l’être qu’elle y rêvait déjà.

Malgré l’abondante richesse de sa taille, les traits allongés de Claire, ses joues creuses et ses yeux cernés, témoignaient d’une fatigue extrême. Le travail de la maternité en était-il la seule cause, ou d’autres pensées plus amères ? Toujours n’avait-elle plus son sourire et son regard de jeune fille heureuse, quand, à Beausite, autrefois, elle allait devant elle joyeuse et confiante, regardant son avenir comme un marin son étoile.

Au pli mordant que prenait quelquefois sa lèvre et à certaines amertumes de son regard, on devinait une blessure cachée. Beaucoup de femmes ont cette aigreur secrète, qui s’accuse de temps en temps sous le vernis de leur parole. Claire cependant n’était à ce moment sous le poids d’aucune préoccupation douloureuse ; car elle