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UN DIVORCE

cercle pendant cinq minutes ; mais le plus souvent c’étaient les servantes qui, munies chacune de sa lanterne, venaient chercher leurs maîtresses. Car, bien que les rues de la ville passent pour être éclairées au gaz, une lanterne, le soir, est le complément obligé de toute Lausannaise qui se respecte, et l’usage de ce luminaire est entré dans les habitudes et dans les mœurs au point que, par les plus belles nuits de clair de lune, on voit passer en même nombre dans les rues ces feux follets enfermés dans leur boîte de verre, petites parcelles de l’incorruptible, esprits du bien, chargés de dire au mal, fils des ténèbres : Retire-toi !

Ces distractions, quelque insignifiantes qu’elles fussent, mirent dans chacune des journées de Claire un petit intérêt de vanité ou de curiosité. Elle s’occupa un peu plus de sa toilette. Les relations de société prennent plus de temps par les préoccupations qu’elles causent et les préparatifs qu’elles exigent que par elles-mêmes. Après avoir pris le thé plusieurs fois chez ses amies, Claire éprouva le besoin de les recevoir à son tour.

Tout cela secouait forcément sa mélancolie. Découragée du côté de son mari, elle en vint, sinon à se consoler par ces distractions vulgaires, du moins à s’étourdir. Ses joues reprirent de l’éclat ; ses yeux et sa parole perdirent de leur langueur ; sa santé devint meilleure. Enfin, de jour en jour, sa taille s’élargissait, de façon à révéler sa maternité à tous les yeux, et de cette douce espérance elle rêvait souvent.

Mesdames Grandvaux, Pascoud et compagnie s’applaudissaient fort de ce changement ; mais tel n’était pas l’avis de Mathilde, qui disait à Anna :

— Cette pauvre Claire est en train de s’abêtir complétement et de perdre le peu d’idéal qui la tourmentait.